Fulgurances, « Vogue.fr » – Mai 2017
Céline Pham, une chef au charme désarmant
Sensible et métissée, la cuisine de la chef franco-vietnamienne mêle les influences, entre racines familiales, souvenirs de voyages et gastronomie française. Elle vient de prendre les rênes des cuisines de Fulgurances. Une résidence de 6 mois dont elle nous parle…
Le point de départ de cette collaboration ?
Une rencontre avec Hugo et Sophie de Fulgurances. Il y a environ cinq ou six ans je travaillais chez Saturne et j’ai participé à leur événement Les seconds sont les premiers. Cela m’a coupée pour un soir de mon rythme de brigade et j’ai beaucoup aimé le côté éphémère et unique de l’évènement. J’ai ensuite participé à plusieurs de leurs évènements pendant les années suivantes, toujours uniques et suspendus dans le temps.
Vous êtes plutôt du genre sans attache… Pourquoi avoir dit oui à ce projet?
Pour renouveler ma créativité et essayer de comprendre l’économie et le mécanisme d’un restaurant. Tester mes capacités à manager une équipe et pousser des gens à me suivre dans mes idées folles en gardant un cadre, une rigueur du quotidien. J’ai créé ma société Phamily l’année dernière, cela me plait énormément mais je travaille le plus souvent seule. Cette expérience à Fulgurances me permet de retrouver un esprit d’équipe et surtout de transmettre et échanger énormément. Je sais déjà que cela nourrira des envies futures.
Comment définiriez-vous votre cuisine simplement ?
Une recherche constante d’équilibre, principalement dans les goûts mais aussi dans l’esthétique. Ma cuisine fait le pont entre mes racines vietnamiennes et ma formation à la gastronomie française classique. L’émotion y tient une grande place. Le point de départ d’une recette est toujours un souvenir, une histoire ou un voyage. J’essaye de faire une cuisine juste (dans le choix des produits, la démarche anti-gaspillage, le souci écologique) et franche (sans esbroufe, très sincère et immédiate).
Qu’est-ce qui vous excite tant dans la cuisine ?
Partir d’une idée, la transformer, essayer, réessayer et trouver la clé d’une recette. C’est un métier qui demande une réactivité. C’est une course contre le temps, une curiosité et une adaptation constante au produit. J’aime aussi ce rapport immédiat, ce verdict donné par les gens qui goûtent ma cuisine.
Quels sont vos modèles ?
Margaret Milan, une femme d’affaires franco-écossaise brillante, très inspirante. Bertrand Grébaut & Théo Pourriat, les fondateurs du restaurant Septime, pour leur radicalité et leur inventivité. Mon grand-frère Julien Pham, qui a créé le magazine Fricote puis la structure Phamily First, c’est un peu un prescripteur, il a toujours un temps d’avance sur tout le monde.
Quel est le dernier plat qui vous a bouleversé ?
Des ravioles potagères à l’Arpège, le restaurant d’Alain Passard. Une simplicité folle qui provoque un choc gustatif. Un trop plein d’émotion lors de ce repas que je repoussais sans cesse en ayant l’impression de ne pas être prête. J’ai compris beaucoup de choses ce jour-là, sur mon apprentissage et mes envies. J’aurais pu craquer à n’importe quel moment du repas mais c’est sur ces ravioles, qui me rappelaient les ha kao de mon enfance mêlées à la finesse de ses légumes, que j’ai fondu en larmes.
Quel rapport entretenez-vous avec les produits que vous utilisez ?
Un rapport parfois amoureux et en tout cas toujours respectueux.
Comment avez-vous imaginé les contours de la carte pour Fulgurances ? Que va-t-on y trouver ? Coté salé et sucré…
J’ai commencé à beaucoup y réfléchir lors d’un voyage au Vietnam que j’ai fait juste au début de cette année. C’est un mélange entre mes souvenirs gustatifs et les produits que les saisons m’offrent, c’est une adaptation au quotidien et aussi une envie de faire des recettes que je n’ai jamais osé faire, c’est un vrai terrain de jeu.
Donnez-moi la recette d’un plat qui vous ressemble ?
Ma version du pho. C’est un plat qui fait le pont entre deux cultures, un peu inédit, plein de surprises. Dans cette version le bouillon est dissimulé, il est très longuement réduit pour s’enrouler autour des pâtes de riz, un morceau de bœuf fondant, confit pendant des heures dans un savant mélange d’épices et enfin la fraîcheur du citron vert et des herbes typiques à ce plat. Une interprétation équilibrée par le ngo gai et le basilic thaï. Il y a deux autres ingrédients mystère pour révéler le côté umami du plat mais je vous laisse les découvrir en vous invitant à venir.
Qui rêveriez-vous de voir à votre table ?
Ma grand-mère, une excellente cuisinière qui m’a éveillée très tôt à des goûts qui font voyager. J’aime sa cuisine avec Amour. Petite j’ai dégusté, savouré, dévoré les yeux fermés ses petits plats. Mon rêve le plus fou serait de la voir assise dans mon restaurant, se laisser faire, me donner carte blanche, se laisser surprendre et peut-être acquiescer d’un sourire ou d’un hochement de tête ma cuisine.
Crédit photo : Barrère et Simon